"Y a-t-il de l'eau dans le gaz du projet de stockage géologique du CO2 ? En juillet, un article de Youssif Kharaka, du service géologique des Etats-Unis, lançait l'alarme (1). Message de Kharaka : quand on injecte du CO2 dans un aquifère profond, il déclenche une cascade de réactions chimiques qui pourraient mettre en cause l'étanchéité du stockage. Une alerte reprise par plusieurs articles de presse et sur le Net. Certains en tirant déjà la conclusion que l'idée est à abandonner, de même que l'espoir du «charbon vraiment propre» qu'elle représente pour les centrales électriques ou les usines grosses consommatrices de houille. Une conclusion «qui n'a pas lieu d'être», tempère Isabelle Czernichowski-Lauriol, du BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières), qui travaille sur le sujet depuis plus de dix ans.

A l'origine de l'annonce de Youssif Kharaka, une expérience d'injection de CO2 dans le sous-sol. Menée sur le site de Frio, dans le golfe du Texas, elle s'est déroulée en octobre 2004. Les scientifiques ont injecté 1 600 tonnes de gaz carbonique dans un puits creusé à 1 500 mètres de profondeur. Là, se trouve une couche de grès, perméable, poreuse, chargée en saumure. Puis ils ont mesuré, grâce à un puits d'observation distant de 30 mètres et par des prélèvements d'échantillons, les conséquences géochimiques de l'opération.

Injection. Il s'en passe des choses, lorsque l'on injecte ainsi du gaz carbonique. La saumure, selon Kharaka, a dû voir son pH baisser drastiquement ­ de plus de 6 aux environs de 3. Cette acidification brutale contribue à une dissolution rapide de minéraux carbonatés et au largage d'ions métalliques ainsi que de molécules organiques. Kharaka pointe alors de gros soucis. Ces transformations géochimiques vont-elles se traduire par la «formation de chemins vers la surface», permettant ainsi le retour du CO2 à l'atmosphère ? Les métaux et composants organiques toxiques mobilisés peuvent-ils se retrouver ailleurs, dans des nappes d'eau utilisées ? Au final, faut-il abandonner l'idée du stockage géologique ?

«En fait, je ne suis pas du tout surprise des mesures de Kharaka, elles correspondent à peu de chose près à ce que nous avions prévu... dès 1996», indique Isabelle Czernichowski (2). Mais elle se réjouit de cette expérience scientifique, conduite de manière à mesurer très précisément l'effet de l'injection, à la différence d'autres ­ en mer du Nord ou au Canada (3). Et souligne que l'article de Kharaka montre d'autres enseignements plus rassurants. Ainsi, l'acidification brutale est petit à petit éliminée par la dissolution des carbonates, le pH mesuré remontant aux environs de 5. «A la fin de l'injection, le réservoir tend à retourner vers son état initial, en raison de la dilution dans la saumure et d'autres réactions minérales impliquant des feldspaths et des argiles.» Surtout, insiste-t-elle, «on sait bien que l'injection massive de gaz carbonique va provoquer des réactions géochimiques plus ou moins importantes dans le réservoir. Mais la question essentielle n'est pas là. Elle est de savoir si ce réservoir va rester bien étanche, durant un millier d'années au moins, vis-à-vis des couches géologiques qui l'encadrent. Le problème majeur, c'est celui du couvercle, pas du réservoir».

Sur ce point, l'expérience de Kharaka est encore trop récente pour trancher. Son équipe n'a rien observé dans la couche géologique située au-dessus. Et encore moins dans la roche-couverture en argile. Or, «un site de stockage convenablement choisi doit comporter une couche imperméable au-dessus du réservoir, susceptible d'empêcher toute fuite massive par des chemins naturels», explique Czernichowski. Le principal risque de fuite, souligne-t-elle, «c'est à travers des puits existants ou anciens».

L'article de Youssif Kharaka n'invalide donc pas l'idée du stockage géologique, mais il montre que l'impact géochimique du CO2 doit être sérieusement analysé afin de s'assurer qu'il ne met pas en cause son objectif ni la sécurité. Dans la course contre la montre entre les émissions massives de gaz carbonique, responsables du changement climatique, et les solutions à y apporter, le stockage géologique devait déjà faire face au problème du coût et de son acceptation par les populations. Il faut y ajouter celui de la lenteur. Car chaque site de stockage devra être auparavant qualifié par des études géologiques précises. Impossible de se contenter d'une théorie qualifiant d'un coup toutes les formations géologiques de même nature.

Grès et calcaire. C'est d'ailleurs l'objectif d'un des projets du BRGM, dont le financement par l'Agence nationale de la recherche est acquis. Ses géologues sont en quête d'un site expérimental dans le Bassin parisien, «probablement dans le sud-est, à cheval entre Ile-de-France et Champagne-Ardennes», précise Isabelle Czernichowski.

Le site doit permettre l'injection de gaz carbonique entre 1 500 et 2 000 mètres, soit dans le grès du trias soit dans le calcaire du dogger. Et bénéficier de la roche-couverture en argile du callovo-oxfordien ­ la formation géologique où l'on étudie le stockage des déchets nucléaires près de Bures (Meuse). Même si l'espoir de trouver de nombreux sites capables d'accueillir de manière sûre le gaz carbonique se vérifie, la mise en oeuvre massive de cette idée ne semble pas pouvoir être rapide."

Article de HUET Sylvestre paru dans Libération le 03/06/2006 - Lien article en ligne

(1) Youssif K. Kharaka et al., Geology, juillet 2006.

(2) Isabelle Czernichowski-Lauriol et al., Academic Press, 1996.

(3) Libération du 3 juin 2006.

.

TOUS LES ARTICLES DANS LA RUBRIQUE : Pourquoi le CSC est contesté - ARTICLES