Le Monde.fr - 14.04.2014 à 19h42 • Mis à jour le 15.04.2014 à 09h06

A.

Pour parvenir à limiter le réchauffement de la planète à 2 °C avant la fin du siècle, les Etats doivent lancer une véritable révolution économique, selon le nouveau rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publié dimanche 13 avril.

Ces changements d'approche doivent intervenir dans tous les secteurs dont, en premier lieu, celui de l'énergie, qui représente 35 % des émissions mondiales. Pour cela, prônent les experts du climat, le recours aux énergies peu carbonées (renouvelables, nucléaire) va devoir tripler, voire quadrupler d'ici à 2050, et des techniques de captage et de stockage du CO2 être développées. Où en est-on dans ces différents domaines ?

  • Le nucléaire recule dans le monde

En présentant l'atome comme une parade au réchauffement, les experts du GIEC s'attirent les foudres des associations antinucléaires. « Le GIEC se range ouvertement aux côtés de l'industrie nucléaire », proteste l'Observatoire du nucléaire. Réfutant « le concept d'énergies bas carbone qui permet allègrement de regrouper dans un même ensemble, contre nature, les énergies renouvelables et le nucléaire », l'association s'indigne : « Il est déplorable de voir le GIEC voler au secours de l'industrie atomique, surtout sous prétexte de sauver la planète (…). Aucune personne sensée ne peut prétendre que le péril nucléaire est moins grave que le problème climatique. »

Polémique mise à part, l'atome est-il une piste d'avenir pour lutter contre le changement climatique ? Il est en réalité en chute libre dans le monde. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), sa part dans la production totale d'électricité, qui avait culminé à 18 % en 1996, est tombée à 10,9 % en 2012. Explication principale de cette décrue : la production mondiale d'électricité a été multipliée par 2,5 au cours des trois dernières décennies (de 8 300 à 21 500 térawatts-heure), sans que le nucléaire ait suivi la même courbe. Cette filière reste notamment marginale en Chine (2 % de son électricité), alors que ce pays pèse désormais pour 20 % dans la production électrique globale.

En outre, même en valeur absolue, la quantité d'électricité d'origine nucléaire régresse depuis plusieurs années au niveau mondial. En 2011, le mix électrique de la planète était formé à 41 % de charbon, 21,9 % de gaz naturel et 4,8 % de pétrole. La part des renouvelables s'élevait à 20 % (en incluant l'hydraulique), deux fois plus que le nucléaire.

Certes, la World Nuclear Association (WNA), dont l'objet est la promotion de cette industrie, soulignait, en janvier, qu'« environ 70 réacteurs nucléaires sont en construction, représentant 20 % des capacités existantes », et que « plus de 160 sont planifiés de façon ferme, représentant la moitié de la capacité présente ». Dans une étude publiée en mars, le cabinet de consultants Roland Berger précise que 72 tranches sont actuellement en chantier, un volume sans précédent depuis un quart de siècle. Selon les scénarios prospectifs, l'Asie est le marché le plus porteur, avec 56 unités en Chine et 14 en Inde à l'horizon 2030.

Mais ces chiffres sont à mettre en face de ceux des réacteurs qui approchent de leur limite d'âge, et dont le remplacement n'est pas acquis. L'âge moyen du parc mondial de 435 réacteurs est de 27 ans et, dans quinze ans, 70 % d'entre eux auront entre 40 et 60 ans. Tout dépendra alors de la politique énergétique de chaque pays, qui devra décider de renouveler ou non tout ou partie de ses installations.

La France, dont l'atome constitue aujourd'hui 75 % du bouquet électrique, sera plus que d'autres confrontée à ce choix. La plupart de ses 58 réacteurs ont été mis en service au cours de la décennie 1980-1990. Entre 2017 et 2030, pas moins de 51 d'entre eux auront atteint la limite des 40 ans pour laquelle ils ont été conçus. Seront-ils alors arrêtés, prolongés ou remplacés, sachant que le gouvernement veut réduire le poids du nucléaire à 50 % en 2025 ?

  • Des énergies renouvelables déjà en progression

Les énergies renouvelables progressent-elles au rythme recommandé par le GIEC ? L'an passé, 254 milliards de dollars (184 milliards d'euros) ont été investis dans des projets d'énergies propres dans le monde. Un chiffre en recul de 11 % par rapport à 2012 (286 milliards) et de 20 % par rapport à 2011 (318 milliards, un record), selon les données du cabinet spécialisé Bloomberg New Energy Finance. Néanmoins, ces deux dernières années font figure d'exception tant les investissements dans les énergies renouvelables sont en forte en progression depuis une quinzaine d'années. Ils ont ainsi été multipliés par cinq entre 2004 et 2010, passant de 55 milliards de dollars à 262 milliards.

« Le récent ralentissement des investissements ne traduit que la baisse des coûts. Aujourd'hui, un module photovoltaïque coûte par exemple cinq fois moins cher qu'en 2008, indique Cédric Philibert, analyste à la division énergies renouvelables de l'Agence internationale de l'énergie. C'est un signe de bonne santé de la filière, qui va continuer à se développer. »

Pour preuve, les capacités installées n'ont cessé de grimper dans le monde. Le parc installé de panneaux solaires photovoltaïques atteint aujourd'hui 140 gigawatts (+ 35 gigawatts en 2013), tandis que celui d'éoliennes dépasse 320 gigawatts (+ 44 gigawatts en 2013).

Au total, l'électricité produite à partir des renouvelables hors hydraulique (solaire, éolien, géothermie et biomasse) a doublé depuis cinq ans – pour atteindre 7 % du mix électrique mondial – et va encore doubler dans les cinq années à venir, tirée par les pays en développement. La Chine représente ainsi 40 % du déploiement des énergies renouvelables : à elle seule, elle a installé 11 GW de panneaux solaires l'an dernier (suivie par le Japon, les Etats-Unis et l'Allemagne) et 14 GW d'éoliennes (loin devant l'Allemagne et les Etats-Unis).

« Les investissements dans les renouvelables vont rester forts, mais se déplacer vers les pays en développement, poursuit Cédric Philibert. La Chine, le Brésil, l'Inde ou l'Afrique du Sud cherchent des solutions peu chères pour répondre à une demande en énergie en forte croissance, tout en se protégeant des fluctuations des prix des énergies fossiles et en essayant de s'émanciper du charbon. » En Europe, les investissements peuvent encore progresser, malgré la crise économique qui touche de plein fouet le secteur, à condition, indique l'expert, « de ne pas démanteler toutes les politiques actuelles de soutien aux énergies renouvelables ».

  • Le captage-stockage du CO2 en panne

Récupérer le CO2 à la source, dans les fumées des usines ou des centrales thermiques, et l'enfouir sous terre, pour des millénaires. C'est l'une des solutions poussées par le GIEC qui, dans un rapport spécial publié en 2005, calculait que de 30 à 40 % des émissions de dioxyde de carbone pourraient ainsi être soustraites à l'atmosphère. Dans leur dernier rapport, ses experts rangent même les énergies fossiles avec captage-stockage du CO2 parmi les énergies non ou faiblement carbonées.

Problème : alors que l'AIE tablait sur une centaine de projets à grande échelle en 2020, il n'existe encore qu'une vingtaine de démonstrateurs dans le monde, dont huit seulement de taille industrielle : cinq aux Etats-Unis, deux en Norvège, le dernier en Algérie. Aucun sur le territoire de l'Union européenne (dont la Norvège ne fait pas partie).

La technologie reste en effet très coûteuse. Une chaîne complète de captage, transport et stockage du CO2 nécessite, pour une installation de grande capacité, un investissement de plusieurs centaines de millions d'euros. Soit, pour un industriel, une dépense comprise entre 30 et 100 euros par tonne de CO2 séquestrée.

S'y ajoute, pour l'Europe, l'effondrement du prix du carbone – tombé à 3 euros seulement la tonne en 2013 – dans le système d'échange de quotas d'émissions de dioxyde de carbone. Bien trop peu pour inciter les industriels à investir dans le captage-stockage. Résultat, sur les six projets de démonstrateurs que Bruxelles avait choisi de subventionner dans autant de pays, un seul, celui d'Hontomin, dans le nord de l'Espagne, est en passe de voir le jour.

Seule une réforme profonde du marché européen du carbone pourrait changer la donne, au moment où d'autres pays commencent à faire payer à leurs industries des droits à polluer. C'est le cas de la Chine, plus gros émetteur de CO2 de la planète, qui a ouvert sept marchés régionaux du carbone, prélude possible à la création d'une bourse nationale.

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