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"Première expérience de stockage souterrain de CO2 en France

" A l'occasion du sommet de Copenhague sur le climat, on parle beaucoup de la technologie de captage et stockage de CO2 (CSC) pour réduire les émissions des gros pollueurs industriels. Lors d'un récent colloque organisé à Paris, le directeur de l'Agence internationale de l'énergie disait qu'avec le CSC "il fallait gagner la confiance du public". Qu'en est-il sur le terrain ?

Une expérience pilote est en cours de démarrage en France même, avec le stockage de 120 000 tonnes de CO2 dans un réservoir de gaz naturel en fin d'exploitation situé sous le vignoble de la commune de Jurançon, en Béarn. A quelques semaines de la première injection, et après seize mois de débats au sein d'une commission locale d'information et de sécurité (CLIS), le groupe Total annonce qu'il a le feu vert de l'administration et qu'il n'est pas tenu d'impliquer les riverains dans les exercices de sécurité qui les concernent, ni de les prévenir avant de démarrer les injections. Comment une attitude aussi arrogante, si peu propice à gagner la confiance du public, est-elle possible ? Elle s'explique tout simplement parce que l'acceptation sociale est, dans les faits, le dernier souci de Total et de l'administration. L'association des riverains (Coteaux de Jurançon Environnement) en fait l'expérience depuis janvier 2008.

La concertation est absente ou manipulée. La concertation telle que la conçoit Total est essentiellement de la communication. Quand le président de la CLIS a proposé qu'il y ait présentation des différents points de vue et débat lors d'une réunion publique sur les lieux mêmes de l'expérience, Total n'y a pas donné suite. Il y a bien eu une enquête publique ; mais, outre le fait déplorable que les commissaires enquêteurs ont distribué des documents publicitaires de Total aux personnes venues s'informer, les conclusions de l'enquête ne reflétaient pas du tout l'opposition au projet, largement majoritaire parmi les personnes qui ont donné leur avis à Jurançon. Pour réduire cette opposition, Total tire parti de sa position de force d'employeur majeur de la région pour essayer de convaincre les riverains et n'hésite pas, aussi, à proposer un mécénat fort opportun à un maire de Jurançon au départ très réticent vis-à-vis du projet.

Les manquements à l'éthique scientifique jettent le doute sur les dispositifs de sécurité prévus, l'intérêt scientifique du projet et le devenir à long terme. Il n'y a pas d'évaluation indépendante du projet, c'est-à-dire pas d'évaluation faite par un organisme qui ne soit pas en conflit d'intérêts avec Total. L'administration fait en sorte que les avis soient donnés "en famille" et fait appel au bureau de recherche géologique et minière, qui a aidé à élaborer le projet et qui est impliqué dans son comité de suivi scientifique. Cette situation a été dénoncée en vain depuis le début. Il a été demandé par l'association des riverains que soient mis sur le site de la préfecture tous les documents scientifiques et techniques reliés au projet et pouvant être rendus publics. Il serait ainsi possible de solliciter des avis indépendants. On attend toujours de voir ces documents. L'arrêté préfectoral ne prévoit pas d'expertise indépendante obligatoire pour évaluer la sûreté du stockage à long terme avant le désengagement de Total. Dans ces conditions, il y a de quoi être inquiet sur la sûreté du site d'enfouissement et sur le dispositif de surveillance à long terme.

Tout récemment, le dispositif de surveillance du sous-sol à l'aide de sondes microsismiques – seule méthode proposée pour contrôler l'intégrité du réservoir et de la couverture rocheuse, suivre la progression du CO2 dans le réservoir et connaître les dérangements à proximité du puits – s'est révélé dégradé : l'ensemble des capteurs du fond du puits est en effet inutilisable. Et pourtant, cette situation n'apparaît pas aux yeux de Total et de l'administration de nature à remettre en question l'injection. Comme il n'y a eu aucune discussion transparente sur les performances requises pour "l'écoute microsismique", il est aisé maintenant de se contenter de conditions de surveillance dégradées.

La sécurité des riverains et de l'environnement n'est pas une priorité pour Total. Il n'y a pas de véritable plan de protection de la population adapté aux risques de fuites massives du CO2 et, ce qui est plus grave encore, Total dit ne pas être tenu d'impliquer la population dans les exercices de sécurité. Pour ce qui est des fuites en surface, sur l'étendue de la zone d'enfouissement – préoccupation majeure des riverains, pour eux-mêmes et aussi pour la faune, la flore, les cultures –, Total n'a pas fait d'étude d'impact et s'en tient à un contrôle limité, fondé sur des mesures annuelles faites en des points fixes peu nombreux. Il a pourtant été demandé que soient identifiés et utilisés des indicateurs, de préférence biologiques (espèces végétales ou animales) particulièrement sensibles au CO2 et dont le comportement sous l'effet de ce gaz est susceptible de révéler la présence de fuites de manière continue.

Voilà des faits de terrain qui concernent la première expérience pilote de stockage de CO2 en France. On est bien loin des déclarations rassurantes des politiques, des industriels et des scientifiques promoteurs de la technologie CSC."

Henri Pépin est professeur émérite à l'Institut national de la recherche scientifique, Québec, Canada, conseiller de l'association Coteaux de Jurançon Environnement.

Article d'Henri Pepin, Membre de CJE, paru dans Le Monde le 09.12.2009

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