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Charles-Emmanuel Haquet et Géraldine Meignan - 01/11/2008 - L'Expansion

'Les entreprises n'ont jamais été aussi soucieuses d'écologie et de diversité... surtout dans leurs pubs et leurs rapports annuels. Enquête sur les rois de l'esbroufe verte.

Sur l'écran de ce cinéma parisien, la voiture file à vive allure dans un paysage désertique. Dans son sillage, de l'herbe pousse miraculeusement sur le bitume, tandis que s'élève la voix off de la navigatrice Ellen MacArthur : « Je rêve qu'un jour l'automobile ne laisse plus de traces sur la planète. » « Imposteur ! » crie soudain un spectateur. D'autres l'imitent. Des boulettes de papier et une bouteille en plastique atterrissent sur l'écran.

Une voiture en parfaite symbiose avec la nature ? Voilà un bel exemple de greenwashing, cette vague de blanchiment écologique qui déferle sur le Vieux Continent depuis deux ou trois ans. Yaourts bons pour le teint, pétroliers reconvertis aux énergies renouvelables, banquiers socialement responsables... Les entreprises ne jurent plus que par le développement durable. On lave plus vert, au risque... d'en faire trop. Une première alerte avait eu lieu fin 2006. Le collectif L'Alliance pour la planète avait dénoncé l'utilisation abusive de l'argument écolo dans les messages publicitaires. (...)

Si les entreprises ont tendance à « verdir » leurs documents institutionnels, elles passent carrément au fluo dès qu'il s'agit de pub. Car c'est avec les affiches 4 x 3, les spots télé ou les bandeaux sur Internet que l'on constate les plus gros excès. En 2007, le nombre de campagnes vertes avait triplé par rapport à 2006. Et le mouvement s'accélère. (...)

Engouement durable, donc. C'est que l'argument écolo fait vendre. Deux entreprises sur trois l'utilisent pour « développer une image valorisante », selon une étude récente menée par le cabinet de conseil Limelight auprès de 110 grandes entreprises françaises. En revanche, la cohérence de cette communication avec la stratégie n'interpelle que 6 % des personnes interrogées. (...)

A l'image de Total, qui, il y a quelques années, vantait dans une campagne grand public les mérites de cinq malheureuses éoliennes installées à Dunkerque, une goutte d'eau par rapport aux milliards d'euros engrangés avec l'or noir. Que dire à EDF, passé maître dans l'art de mettre en scène son action pour l'environnement en restant discret sur ses lignes à haute tension ou ses centrales nucléaires, au coeur de son métier ?

Le développement durable est une notion élastique, un concept à géographie variable que les entreprises ont appris à manier à leur avantage. (...)

Ceux qui sont certifiés écologiquement corrects (norme ISO 14000) usent aussi de l'artifice. Le choix du périmètre est laissé à l'appréciation de l'entreprise. Facile, dans ces conditions, de passer sous silence le recours à une main-d'oeuvre sous-payée en Asie pour ne faire évaluer que sa politique environnementale en Europe. Facile aussi de reporter les risques et les mauvaises pratiques chez les sous-traitants. (...)

En matière de cynisme, ce sont les constructeurs automobiles qui, de loin, décrochent la palme. « Vous allez prendre goût à l'écologie », promet ainsi une pub Volkswagen pour sa nouvelle Passat. Cette voiture prodige, assure le constructeur, n'émet « que » 137 grammes de CO2 par kilomètre. Peut-on décemment mettre un tel argument en avant quand, à Bruxelles, la puissante Association des constructeurs européens d'automobiles torpille, pour la deuxième fois en dix ans, le projet communautaire qui vise à limiter les émissions des nouveaux véhicules à 120 grammes de CO2 par kilomètre ? Ce double discours hérisse Corinne Lepage, présidente du parti Cap 21 et ancienne ministre de l'Environnement. « Les fabricants cherchent à gagner du temps, ce qui ne les empêche pas de faire de la pub. » Et ce essentiellement sur leurs modèles les plus polluants. C'est en tout cas le constat d'un chercheur de l'université de Liège, Pierre Ozer, qui s'est livré à une étude détaillée des pubs auto parues en 2006 en Belgique dans deux quotidiens (La Libre Belgique et Le Soir) et deux hebdomadaires (Trends-Tendances et Le Vif-L'Express).

Les banques françaises ne sont pas plus vertueuses. Elles se sont longtemps targuées d'être neutres en CO2 ou socialement responsables. Mais elles sont aussi longtemps passées à côté de l'essentiel. « Les banques auraient pu avoir une influence déterminante pour l'avenir de la planète si elles avaient plus tôt conditionné l'obtention de crédits à des indices environnementaux. Mais elles ont tardé à utiliser ce pouvoir », explique un ancien directeur du développement durable. Pourtant, les « principes de l'Equateur » adoptés sous l'égide des Nations unies ont fixé ces critères dès 2003. (...)

Souvent, aussi, cette démarche « responsable » coince au niveau des cadres dirigeants. « Leur bonus est indexé sur des critères essentiellement économiques et financiers. Le développement durable est plus souvent perçu comme une contrainte que comme une opportunité », poursuit Xavier Delacroix. A Alcatel-Lucent, l'avant-dernier de notre classement, on souligne la difficulté à « mobiliser des directeurs de sites sur ces questions sociétales et environnementales dans le contexte de la fusion ». Le mieux, c'est encore de les y inciter financièrement, comme l'ont fait Eiffage, Moët & Chandon et Rhodia. « Les bonus peuvent atteindre 15 % de la rémunération. (...)

Franck Aggeri, directeur du Centre de gestion scientifique de l'Ecole des mines de Paris, l'assure : « On n'ira pas dans le bon sens tant que les entreprises ne modifieront pas en profondeur leur modèle économique en explorant des stratégies de rupture. » (...)

Charles-Emmanuel Haquet et Géraldine Meignan - 01/11/2008 - L'Expansion - Lien vers l'article en ligne

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